(Reflex) Quel est le rôle d'un philosophe dans un institut qui s'intéresse plutôt aux sciences dures?
(DB) Le diagnostic climatique en lui-même est une question de sciences dures (physiques mathématiques informatique etc......). Mais le fait de réfléchir aux raisons qui ont mené l'homme à aune relation dramatique avec son environnement relève plutôt de la philosophie. Réfléchir sur les limites des techniques comme réponse au problème est également philosophique. Enfin, si vous réfléchissez aux raisons pour lesquelles, en dépit d'un diagnostic assez clair de la communauté scientifique, les réponses semblent d'une timidité sans proportion avec le problème, c'est encore de la philosophie.
Le climat pose des questions proprement métaphysiques. Imaginons que la situation dérape complètement et que les scénarii les plus noirs se réalisent, Il s'agirait d'une épreuve pour l'humanité comme elle n'e a jamais vécue. Immanquablement, elle poserait alors la question du sens de l'action humaine.
(Reflex) Comment avons-nous fait pour nous retrouver dans cette situation?
(DB) Les grandes civilisations ont une profondeur de quatre à cinq milles ans, mais la crise climatique a été constatée dans les soixante dernières années. Je me souviens d'un article d'une revue de vulgarisation, Science et Vie, de mai 1959. C'était un an après le commencement des travaux de Charles Keeling sous la direction de Roger Revelle (voir film de Al Gore ). Keeling, physicien, mesurait quotidiennement la concentration de CO2 dans l'air. A l'époque, des scientifiques comme Revelle estimaient déjà que le climat risquerait de devenir le grand problème de la fin du XXème et du début du XXIème siècle. Or que dit l'éditorial du journal? Que les scientifiques ont raison de s'inquiéter, car il s'agit d'un phénomène qui peut devenir dangereux. Mais il estime surtout qu'en l'an 2000, nos savant - on disait encore "nos savants" - auront résolu le problème et que la question du climat relèvera du simple maniement d'un thermostat!
E entendre certaines personnes, le discours n'a pas changé :"Bonnes gens, dormez sur vos deux oreilles, la technologie nous sauvera!" Cela fait rire un peu jaune e philosophe des techniques que je suis.
(Reflex) Pourquoi?
(DB) Il y a derrière nous près d'un siècle et demi d'essor technologique, auquel nous devons notre confort. Quel en est le résultat? Une explosion de la consommation d'énergie et des flux de matières. De fait penser que la technologie va résoudre ces problèmes paraît assez délicat, vu que le résultat des 150 dernières années démontre plutôt le contraire. A chaque fois qu'une technologie réalise un gain sur un plan, cela se traduit par des opportunités nouvelles de consommation matière/énergie. Vous baissez les coûts et vous libérez une manne financière qui, grâce à d'autres progrès technologiques, va pouvoir s'investir dans d'autres objets, qui à leur tour vont susciter une nouvelle consommation de matières et d'énergie.
(Reflex) Pourtant vous n'êtes pas contre le progrès technologique.
(DB) Il est nécessaire de s'appuyer sur les technologies, mais elles ne suffisent pas. En matière de climat, les instruments les plus puissants sont économiques. Ce sont les marchés d'émissions négociables, les taxes carbones, etc. Ces instruments sont faits pour éviter les effets de rebonds.
(Reflex) Est-ce faisable à l'échelle mondiale?
(DB) Ca s'esquisse. L'Europe a mis timidement en place quelques instruments, qu'il faudra rapidement renforcer. Et c'est là la grande difficulté. Le climat que nous allons subir en 2050, grosso modo, est déjà plié- Les efforts que nous devons faire serviront pour la seconde moitié de ce siècle.
Si nous souhaitons atteindre l'objectif de l'UE - diviser par deux l'ensemble des émissions mondiales à l'horizon 2050 -, il faudrait commencer par les stabiliser dés 2015. Après, il faudra les réduire de 3% par an. Si nous laissons filer les émissions quelques décennies encore. l'horreur sera au rendez-vous à compter de la seconde moitié du siècle. On ne pourra plus rien faire ensuite. Nous n'avons jamais été confrontés à ce genre de problème. Pour agir il n'est pas nécessaire d'attendre un accord à l'échelle des 180-190 pays que compte la Terre. Un accord multilatéral Chine, Inde Europe et Etats-Unis, suffirait pour avoir quelque chose de très significatif.
(Reflex) Parmi ces quatre acteurs, seule l'Europe s'intéresse au problème.
(DB) Ce n'est pas tout a fait vrai. Les Etats-Unis ne se réduisent pas à l'administration Bush qui, notons-le, plaide désormais pour des accords volontaires. Onze états américains sont très pro-actifs, surtout la Californie. En chine, les élites sont très au courant du problème. Ils évaluent les dégâts environnementaux, qui représenteront pour eux jusqu'à 20% de leur PNB par an.
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